[SEAHYUN LEE]




Interview • Sea hyun Lee


 


vos tableaux représentent des paysages co- réens inhabités, mais sont-ils indifférents à l'hu- manité ou bien l'humanité est-elle présente en filigrane dans votre travail ?


Je dirais que je n'ai pas séparé les paysages et les hommes dans mon esprit bien que j'ai récemment commencé à peindre des gens dans mes toiles. Ces paysages dans mes peintures ne sont pas des paradis imaginaires souvent décrits dans les pein- tures orientales. Ce sont de vrais endroits de la Co- rée où certains d'entre nous vivent ou ont vécu il y a quelque temps. Certains de ces paysages que j'ai choisi de peindre peuvent avoir changé d'aspect dans la réalité, mais ils ont existé tels quels à un moment donné malgré les transformations succes- sives et seront toujours là pour témoigner de cette période dans la vie de certains Coréens.


Je n'ai pas réalisé à quelle vitesse les choses changeaient lorsque j'étais en Corée. Peut-être parce que je les voyais tous les jours. J'étais de- venu insensible à ces changements. J'ai passé quelques années à Londres et quand j'en suis revenu, tellement de choses avaient disparu – y compris le petit village où j'ai dispersé les cendres de ma mère.


Voilà mon travail : observer les variations – poli- tiques, sociales – accidents et incidents, comment les paysages sont bouleversés, et comment les gens sont affectés par ces transformations et ces accidents tragiques. Je continue de penser à la vie et à la mort, en particulier à la tragédie du 16 avril avec le naufrage d'un Ferry qui a tué une centaine de personnes.


 


vos oeuvres relient utopie et dystopie. com- ment ces deux éléments coïncident dans votre travail ?


L'utopie s'exprime dans la beauté de la nature et dans les mémoires de mon enfance et de ma ville natale. Cependant, ces mêmes éléments sont par- fois condamnés à la destruction, à la disparition, à la tragédie de la division nationale, etc. Ce double aspect de mes peintures montre l'utopie et la dystopie dans le même temps.


décririez-vous votre travail comme une fusion entre l'art coréen, l'art occidental parmi d'autres influences ?


En effet, c'est le coeur de mon travail : comprendre les différentes cultures et les multiples perspec- tives qu'elles impliquent et choisir la manière de les exprimer. Dans mes peintures, la composition générale — ou les perspectives des plans — est grandement influencée par l'art oriental, tandis que les techniques d'observation et de description pour les représenter sont tirées de la tradition oc- cidentale de la perspective. Je cherche à refléter l'esprit des temps et à incarner la fonction de l'art comme métaphore d'une protestation, et cela tient compte aussi de l'influence de l'art occidental.


il est clair que chacun aura sa propre interpré- tation d'une oeuvre, mais pensez-vous qu'il y a toujours cette ambition de mêler l'art occiden- tal et coréen dans votre travail ?


Il y a des différences culturelles évidentes entre les mondes orientaux et occidentaux, mais il y a quelque chose comme un fonds commun d'huma- nité qui, selon moi, existe concrètement.


 


Depuis que je peins des thèmes communs comme la beauté, le bonheur, le deuil, l'agonie, l'essence de la vie et de la mort pour la nature humaine, je crois qu'il y a une perspective générale dans mes oeuvres.


selon vous, à quoi tient l'expressivité de votre travail ? À la peur ? À la nostalgie ?


Je crois que les états émotionnels de la peur, de la nostalgie, de la beauté, de la tragédie et de toutes les émotions violentes peuvent être transmis simul- tanément plutôt que de manière distincte et régu- lée dans mes différentes peintures.


vos tableaux sont très éloquents, portent-ils un message particulier ou diriez-vous que leur pouvoir d'évocation vient plutôt de l'ambiguïté du message ?


Certains peuvent porter un message explicite quand d'autres non. Je n'ai jamais mesuré arithmé- tiquement lesquels le font ou non, et parfois je me contente de l'ambiguïté pour elle-même.


vous utilisez le rouge dans la plupart de vos ta- bleaux. quelle est la signification de cette cou- leur?


La couleur rouge ne symbolise rien de particulier dans mes oeuvres. Cela a d'ailleurs été interprété de tellement de manières différentes – en fonction des culture ou des pays. Je crois que le vrai charme de la couleur rouge vient de son équivoque, qui


 


ouvre sur de multiples interprétations. En dernière instance, l'interprétation est l'affaire des regar- deurs.


on pourrait voir vos paysages comme une uto- pie en train de disparaître. pensez-vous que l'art peut servir à capturer et à conserver le passé? Tout est possible au nom de l'art ! Cependant, l'idée de capturer une utopie mourante dans mes oeuvres n'est pas principalement destinée à mé- moriser ou préserver le passé, mais plutôt à expri- mer la situation tragique de la Corée aujourd'hui. Les paysages magnifiques qui sont dans le coeur de beaucoup de personnes sont promis à la des- truction au nom d'un développement irrespon- sable. Aujourd'hui, les Coréens ont perdu la pos- sibilité de voir où ils sont nés et où ils ont grandi. Depuis peu, le fait de ne plus pouvoir jouir d'une nature que l'on a connue est une réalité en Corée. C'est ce que j'ai voulu montrer.


quels sont vos projets en cours ? des collabora- tions sont-elles prévues ?


Je vais avoir une exposition bientôt à Hong Kong et au Geoje Museum. Je vais aussi participer à la Biennale de Busan. Ces deux expositions au Geo- je Museum et à Busan sont très importantes pour moi. Geoje est ma ville de naissance, et Busan la ville de mon adolescence. J'aimerais me concen- trer et prendre le temps de bien me préparer pour ces deux événements.


 


De même, pour un projet qui ne concerne pas exactement la peinture, j'aimerais contribuer à améliorer les conditions de travail des artistes co- réens. Être artiste à plein temps en Corée n'a ja- mais été facile, et j'aimerais faire quelque chose pour rendre ces conditions meilleures, réfléchir aux moyens d'y parvenir avec ceux qui travaillent dans des conditions difficiles. Je le fais pour moi comme pour les jeunes artistes. Je réfléchis aussi à la création de dispositifs d'entraide en créant une corporation d'artistes voire un village d'artistes.


vous avez commencé à peindre à Londres. com- ment procédez-vous pour intégrer les cultures coréenne et occidentale dans votre travail ?


Je ne me soucie pas d'intégrer les différences culturelles entre l'occident et la Corée. J'essaie simplement d'introduire un moment critique dans mon observation de la réalité. Ces choses-là se re- trouvent dans mes oeuvres, sans que j'aie besoin de me demander si cela appartient à la culture occidentale, coréenne, ou je ne sais quelle autre culture.


 


quelle est la différence entre le marché de l'art occidental et celui en corée ? est-ce que le marché de l'art coréen privilégie l'art coréen ou bien met-il au premier plan la production occidentale ?


Malheureusement, il me semble que le marché de l'art coréen s'intéresse d'abord à la valeur mar- chande plutôt qu'à la valeur artistique. Je pense que le marché de l'art occidental s'est construit sur cet héritage culturel en place depuis de nom- breuses années et à travers différentes phases de réflexions tout au long de son existence.


En ce qui concerne le marché de l'art coréen, je ne dis pas que le fait qu'il soit jeune lui assure un avenir meilleur, mais le marché coréen ne pourra s'améliorer qu'à condition de faire son introspection d'accepter les critiques construc- tives.


Enfin, quand on voit que l'art occidental occupe près de 80% du marché coréen, je crois qu'on peut dire qu'il le met au premier plan.


Ein Artikel über Seahyun LEE von AMA ging online. AMA ist die größte Kunst-Newletter in Frankreich und sie führte ein Exklusiv-Interview mit dem Künstler.